« Adresse aux prolétaires et aux jeunes révolutionnaires arabes et israéliens contre la guerre et pour la révolution prolétarienne »

Réunis les 1 et 2 mai 1976, à Paris en conférence, des révolutionnaires du Moyen-Orient, pour la moitié représentants· de groupes et organisations communistes, ont élaboré un manifeste qui était, à notre connaissance, la première adresse révolutionnaire publiée en commun par des arabes et des israéliens, ce qui était à souligner. On reconnait le style radical d'un des participants, Mustapha Khayati, ancien du Fplp, et déjà auteur du tract conseilliste "Adresse aux révolutionnaires d'Algérie et de tous les pays", en 1965, et qui avait alors circulé clandestinement en Algérie. Ce premier pas vers le regroupement et le travail coordonné se plaçait dans le mouvement de jonction des luttes prolétariennes et dans une période de déclin de l'illusion nationaliste. L'Action internationaliste propose ce texte (pour la première fois disponible sur le web en version retranscrite) comme document de discussion dans le contexte de l'émergence actuelle, à nouveau, de groupes révolutionnaires radicaux dans le Moyen Orient.


Au stade actuel de la lutte des classes, notre tâche, à nous, dont l'essentiel des activités révolutionnaires est orienté vers les pays arabes et Israël, est :
-d'apporter sa signification réelle, sa conscience radicale à toute pratique à visée révolutionnaire, si limitée dans le temps et l'espace soit-elle
-d'encourager tout dérèglement des institutions existantes, qui ne sont rien d'autre que la violence de classe organisée, toute résistance au conformisme, aux injustices et au pouvoir discrétionnaire·des directions dirigeantes dont l'essentiel de l'activité a, de tout temps, consisté à surveiller et à punir
-de diriger l'arme de la critique contre toutes les institutions religieuses et idéologiques.



Dans l'Orient, venu au capitalisme moderne sous l'impact de l'époque, et non pas par une évolution intérieure que ses structures paralysantes excluent, la critique de tous les anachronismes du monde moderne, qui conservent en Orient une influence massive, telle la religion qui bloque encore l'intellect des larges masses, reste la condition préliminaire de toute critique, s'attaquant simultanément au capital, au pouvoir et à · leurs justifications sacrées et profanes. Face aux classes qui défendent partout et par tous les moyens la propriété privée et étatique, l'amour du travail salarié, l' ordre, la famille, la morale, la tradition, la religion, l'autorité, le patriotisme, le sacrifice, le service militaire, l'école, les partis et les syndicats à leur service, les révolutionnaires axeront le feu de leur critique sur toutes ces institutions et cette table des valeurs défendues par leurs ennemis :
- sur le carcan familial répressif qui écrase, par son conservatisme patriarcal, la personnalité et la créativité des enfants et maintient la femme dans l'esclavage ;
- sur la machine scolaire, lieu d'apologie des abstractions abrutissantes et des réalités mortelles, qui reprend les enfants, assagis, de la famille pour achever son oeuvre, à savoir tuer en eux toute réflexion libre, leur laver le cerveau, les conditionner par toutes les médiocrités courantes, les plier aux exigences d'une société stupide et totalitaire, les destiner à être des ouvriers qualifiés et disciplinés ;
- sur l'université qui, à son tour, récupère les élèves triés par des examens punitifs, pour les soumettre aux ravages des idéologies passéistes et modernistes qui se côtoient et se complètent dans la société même, pour en faire, dans le meilleur des cas, des petits cadres au service de l'Etat et des profes- seurs spécialisés incapables d'avoir des vues larges et profondes sur leur temps, et dans le pire des cas des chômeurs diplômés ;
- sur l'essence de la culture dominante et les moyens audio-visuels qui la propagent dans le seul but de mystifier la conscience de la classe révolutionnaire en diffusant à satiété des faux problèmes, escamotant le vrai, celui de l'émancipation du prolétariat, par l'apologie du passé mort et de l 'état théologique toujours en place ; 
- sur l'armée, dernier lieu de conditionnement de la jeunesse, qui est en passe de devenir - après la "paix" elle le deviendra pleinement - une force spéciale réduite en nombre et exclusivement destinée à se mesurer au prolétariat dans les guerres civiles à venir; 
- sur les partis et les syndicats étatiques et para-étatiques qui sont déjà la principale force d'inertie pour la classe ouvrière et dont la tâche consiste, en tant que courroie de transmission du pouvoir, à neutraliser les pôles subversifs de la société, à perpétuer la soumission des exploités, à créer et entretenir la fausse conscience, enfin à mater le prolétariat.

Dans notre époque, qui est révolutionnaire tous les états de la région sont forcés de mettre en oeuvre des réformes sociales quelconques. Pour survivre et étendre sa domination à tous les aspects de la vie sociale, le capital se voit obligé de moderniser son infrastructure, d'utiliser ses urbanistes pour l'aménagement des villes en fonction de la guerre civile, l'aménagement du territoire en fonction des besoins de l'industrie polluante, le parcage d'une population menaçante dans des cages-à-lapins, et enfin entreprendre, même dans les pays arriérés de la région, certaines réformes sociales susceptibles de convertir le prolétariat, réveillé à ses intérêts de classe, à la modération.

Modernisation, modération, retenue, tels sont les maîtres mots de la propagande officielle au Moyen- Orient.
Cette vérité vécue interdit aux révolutionnaires toute participation à une action à visée réformiste et toute alliance avec les partis réformistes qui ne sont en fait que la gauche du capital.

La faillite historique de tous les partis de gauche dans les pays arabes et en Israël s'explique, en grande partie, parce qu'ils étaient tout au long de ces 25 dernières années, réformistes en paroles face à un pouvoir réformiste en actes. Après toute une période maniement des idées-momies, de répétition de fausses évidences, de rabâchage de faux problèmes, de propagation de la fausse conscience, de traductions falsifiées de quelques textes marxistes, ces partis "communistes" apparaissent pour ce qu'ils sont vraiment : non pas des partis de la classe ouvrière, mais ceux de la classe dominante dont ils partagent misérablement le pouvoir en Syrie, en Irak et bientôt au Liban, et lui servent comme "opposants honnêtes et constructifs" partout ailleurs.

La quasi-totalité des groupes gauchistes arabes, apparus pour la plupart après l'avènement de la résistance palestinienne pour prendre la relève des vieux P.C "qui ont trahi le marxisme-léninisme, le vrai", et après la défaite de la résistance à Amman en septembre 70 s'évanouirent ou réintégrèrent leurs bons vieux partis réformistes "traites" d'origine. Et, en choeur avec leurs partis vite retrouvés, se mirent à braire "la nécessité des fronts nationaux avec les régimes progressistes et anti-impérialistes pour faire face à l'impérialisme et ses agents en Israël et en Iran" [Note : il s'agit de l'Iran de la dictature pro-américaine en 1975]

Maintenant que tous les régimes progressistes collaborent à visage découvert avec l'impérialisme, qu'ils se sont réconciliés avec la bourgeoisie iranienne et se préparent à donner l'accolade aux dirigeants d'Israël, le masque est tombé. Les partisans "critiques" ou aveugles des fronts nationaux apparaissent comme partisan acharnés de la soumission de la classe ouvrière à la bureaucratie au pouvoir, à la bourgeoisie et aux affaires.

Le prolétariat et ses alliés (1) n'ont aucun programme minimum commun avec aucune fraction des classes possédantes, qu'elles soient au pouvoir ou dans l'opposition .

(1) Les alliés dont il s'agit n'ont rien à voir avec la conception "alliance de classes". Cette appellation concerne, dans l'esprit des signataires de l'adresse, le prolétariat agraire, les chômeurs (nombreux), et la jeunesse révolutionnaire.